28/03/2015, jour 14: Reims – Mardeuil

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Le réveil est difficile ce matin. Est-ce le vin de la veille, le somptueux repas, le chaleureux accueil de Pascal, ou la douillette couette?  Ou est-ce simplement la perspective plus douloureuse de la longue journée qui m’attend? J’ai beaucoup de mal à m’extirper, malgré la bonne odeur de café qui envahit l’appartement si cosy. D’autant plus difficile que la grisaille matinale ne m’encourage guère.

Dernière discussion autour du déjeuner, Pascal me reparle pour la ixième fois d’Olivier. Je peine à démarrer, je me sens bien ici. Mais j’ai 35 kilomètres à avaler: allez, Luc, on y va !

De retour vers la cathédrale, je cherche ma voie. Les grandes villes sont pour le pèlerin comme le labyrinthe de Dédale: les routes se croisent et se recroisent, se ressemblent et s’assemblent dans un imbroglio impénétrable. Au détour des travaux, les balises font parfois défaut. Je tourne et retourne sans cesse mon guide, pour finalement alpaguer une jeune étudiante plongée dans son monde musical. Le temps d’extraire ses écouteurs, passée la surprise de ma demande, elle aura vite fait de remettre le plan dans le bon sens et de me diriger vers le canal tout proche. C’est parti pour quelques kilomètres en compagnie des joggeurs matinaux et des chiens-chiens à sa mémère.

Une balise particulière attire mon attention: j’apprendrais qu’ici se croisent 3 voies. Si de mon coté, je poursuis ma route sur le tracé de la Via Campaniensis, j’emprunte aujourd’hui une partie du GR 654. Mais aussi, à mon grand étonnement, je remonte la Via Francigena, qui relie Canterburry à Rome, en passant par Paris. Autres Chemins, autres pèlerins, même quête de sens. Peut-être le ferai-je un jour…

Les rives bucoliques ne sont qu’une parenthèse avant de rejoindre les vignobles environnants. Il reste la banlieue à traverser, ses longues avenues encombrées, ses maisons abandonnées, son zoning commercial. La pluie refait son apparition, il fait gris, il fait triste, comme pour mieux accompagner la mélancolie de quitter un nouvel ami ! Je m’empresse de me réfugier dans un Decathlon tout proche, en attendant une improbable éclaircie. Rien de particulier à acheter, je connais chaque recoin de ce magasin: depuis 8 mois, j’en avais presque fait ma résidence secondaire !

Le ciel crachote encore lorsque je m’élance à l’assaut de la campagne. Les forêts succèdent aux champs, eux-mêmes entrecoupés de vignobles. Les noms prestigieux des grandes maisons de champagne se suivent.

Les sentiers sont boueux et glissants à souhait. La progression est lente et pénible, à peine compensée par la majestuosité des paysages. Wilson, mon bâton, m’aura sauvé plus d’une fois d’une chute certaine sur ces terrains dantesques ! Quand enfin, au loin, le village de Rilly-la Montagne se dévoile, je suis presqu’impatient de retrouver l’asphalte. L’occasion de taper du pied pour enfin me débarrasser de cette terre « très attachante ». L’occasion aussi de me faire dépasser par une pèlerine à vélo, qui arrivée à ma hauteur, me gratifie d’un tonitruant bonjour. C’est Alice, ma hollandaise d’hier, croisée à la cathédrale de Reims. Je vais devoir m’habituer aux rencontres, et à partager « mon » Chemin.

A l’entrée du bourg, alors que la logique aurait voulu que je continue tout droit, une flèche jaune m’invite à virer. Je sais qu’en Espagne, ces flèches jaunes sont la norme, mais ici? Un peu suspicieux, mais sans autre indication, j’entre dans les ruelles. Bien mal m’en a pris. Je comprendrais plus tard que ce parcours émanait de l’office du tourisme afin de nous faire visiter les caves locales. On est en champagne, trésor national oblige ! J’en suis quitte pour un peu plus d’un kilomètre à zigzaguer, avant d’enfin retomber sur les traces de Saint Jacques et gravir la montagne à travers bois.

Au milieu des pentes ravinées par la pluie, il ne m’aura pas été nécessaire de jouer bien longtemps  les Sherlock Holmes pour repérer les traces du vélo d’Alice. La pauvre ! Chaque pas me demande des efforts d’équilibre démesurés. J’imagine qu’à vélo, elle a bien du peiner et souvent poser pied à terre !

Au sommet du mont, pendant que Wilson se désespère devant un tas de ses congénères lâchement abattus par des bûcherons peu scrupuleux, j’en profite pour casser la croûte. Ce matin, Pascal m’avait glissé un pique-nique entre les mains. C’est d’un délicieux sandwich au pâté et d’une généreuse part de quiche que je me remplis la panse ! Un festin sans pareil, en cet endroit perdu au milieu des bois ! Le bonheur, sur le Chemin, tient à ces choses simples. Lorsque dépourvu de tout, tout prend une autre dimension, un rien suffit à nous combler. A chaque bouchée, bercé par le bruissement du vent dans les arbres et le chant des rares oiseaux, je ferme les yeux, et je suis heureux.

Mais aujourd’hui, ces instants de plénitude n’auront malheureusement qu’un temps. Il est déjà 13h largement passé, et je n’ai parcouru que 15 kilomètres. Embourbé dans ces sentiers gadouilleux, j’ai bien trainé. Il est grand temps que j’allonge le pas si je veux arriver avant la tombée de la nuit. Encore quelques encablures d’une forêt certes magnifique, mais non moins hostile, à sa sortie, Épernay m’apparaît au loin. Faute d’avoir trouvé un logement à Mardeuil, c’est là que je coucherai ce soir. Mais les apparences sont trompeuses. De mon promontoire, alors que j’ai l’impression de toucher au but, il me reste 10 kilomètres à marcher.

En crête de coteau, surplombant les rangées de vignes alignées au cordeau, je reprends vigueur. Les allées bétonnées et bien drainées, si dures soient-elles, me permettent d’accélérer un peu la cadence. Mon avance ne sera cependant qu’éphémère. De passage par Hautvillers, je ne manquerai en effet pas de m’arrêter en l’église Saint Sindulphe. Edifice attenant à l’abbaye, elle abrite en son sein la tombe d’un illustre moine: Dom Perignon, découvreur contesté de la méthode champenoise. Un groupe en visite dans cet endroit mythique, s’empresse de venir vers moi et m’interroge: suis-je un pèlerin? La question me semble un peu incongrue. Nous sommes d’abord dans un lieu saint, pas au café du coin. Et sur ce Chemin, mon aspect ne laisse planer aucun doute sur ma fonction. Mais je me plie de bonne grâce à leurs interrogations, et me délecte avec satisfaction de leurs yeux ébahis à l’annonce de mon point départ et de ma destination. Passé ce moment qui, je l’avoue, flatte un peu mon ego, je reprends la route. Mes pieds commencent à se plaindre, et me supplient de mettre un terme au plus vite à cette trop longue journée.

L’entrée d’Épernay est pénible. Deux kilomètres interminables, le long d’une départementale très passante à cette heure de pointe. Les voitures me frôlent à toute vitesse. Avec mon sac sur le dos, en comparaison de leur allure folle, je ressemble à un escargot. J’avance péniblement. La seule idée d’arriver m’obsède. Je me perds une fois de plus dans cette banlieue grouillante. Je suis hors-Chemin, et j’ai beau interroger le riverain, personne ne connait mon point de chute.

C’est finalement à 19h, exténué, que je trouve le presbytère de l’église Saint Pierre et Saint Paul. Le père Wersinger, un nom digne d’un grand cru, est un homme bon et charitable. Dans sa vaste demeure, il a aménagé des chambres rivalisant avec le plus bel hôtel où rien ne manque. Et dans sa grande générosité, un accès libre à la cuisine et au frigo nous est laissé.

 

Ce soir, je me délecterai d’une omelette et de pain bien beurré, suivi d’un morceau de fromage et de son verre de vin. Et pour me confirmer ce dont j’avais été un peu préparé hier, je partagerai pour la première fois mon repas avec un autre pèlerin.

Lieven est un anversois à l’allure atypique dans sa manière d’aborder le Chemin. Mais il est vrai qu’il y a autant de pèlerins que de Chemins. Lieven marche 2 semaines par an, et s’est donné pour objectif cette année de partir de Reims pour atteindre Vezelay. Pas forcément pour poursuivre un trajet entamé auparavant, tout comme l’année suivante, il ne repartira pas de Vezelay. Non ! Lieven, libre dans sa tête, marche à l’instinct. Mais il ne m’avait pas encore conté le plus étonnant: sa femme marche également 15 jours par an, seule, et à l’image de son mari, dans un ordre aléatoire. Mais pas les mêmes trajets les mêmes années, ça serait trop banal! Et comble de l’absurde, ils marchent également de concert une paire de semaine par an, sur un troisième tronçon différent de leurs marches respectives. Ainsi, ils se retrouvent, séparément et ensemble.

A petit dose, j’apprends maintenant tout doucement à apprivoiser les rencontres. Peu importe les raisons qui les ont menés sur le Chemin, je partage avec eux un même esprit. La solitude salutaire des premières semaines m’aura permis de faire le vide. Elle a fait place au temps des amitiés pèlerines. Je suis maintenant comme une éponge prête à absorber toute la bonté de l’humanité.

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© Luc BALTHASART, 29/01/2016

2 réflexions sur « 28/03/2015, jour 14: Reims – Mardeuil »

  1. Félicitations Luc pour ton beau pèlerinage et merci des éloges que tu fais à notre association. Cela ne peut que nous encourager et nous faire progresser. Les photos sont superbes et tellement très réelles. Le récit est captivant.
    Au nom de Randonneurs et Pèlerins 51. Merci
    Jean-Marie Commission Chemins RP51

    1. Bonjour Jean-Marie,

      Je ne peux effectivement que vous encourager à poursuivre le travail de Sisyphe auquel vous vous attelez. Au pris de vos efforts acharnés, le balisage n’a souffert d’aucun manquement. Le guide est très bien rédigé, tant dans les descriptions, qu’au niveau des info logements et de la cartographie.
      Quant à mon pèlerinage et le récit qui en ressort, je vous remercie pour votre retour positif. Cela me conforte dans l’idée du partage, et renforce ma motivation à rédiger au mieux afin de rendre mon histoire la plus vivante et passionnante possible, tout en restant bien entendu collé à la réalité, et en donnant envie aux lecteurs de me rester fidèle en attendant la suite 😉
      Très honoré de vous compter dorénavant parmi eux, n’hésitez donc pas à en parler aux autres membres de l’association.
      A bientôt,

      Luc

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