Retrouvez toutes les photos du jour 27
J’apprendrais vite par la suite que les réveils en gîte sont souvent matinaux. Pas question en effet de profiter d’une grasse matinée parfois bien méritée. Le premier éveillé, en préparant son sac, sonnera invariablement le réveil de tous, même si rien ne nous empêche de l’observer dans l’obscurité de l’aube naissante sans pour autant bouger de notre lit.
C’est Christian qui, dès potron-minet, commencera à tousser au rythme de son remue-ménage. Phil lui emboitera le pas en prenant l’initiative de préparer un petit café bien serré, tandis que je me charge de dresser la table en sortant couverts et confiture. Dès le matin, l’ambiance de la veille refait surface. Sans faux-semblant, chacun y va de ses habitudes, tout en s’accommodant des rituels des autres, sans juger, sans sourciller. La vie en communauté prend ici un véritable sens.
On a convenu aujourd’hui de nous arrêter à La Charité. Petite étape donc, qui me permettra de ménager un peu mon corps et mes pieds, bien esquintés après ces deux dernières journées d’excès sans compter.
Nous avions trouvé le gîte dans un état impeccable, nous mettons un point d’honneur à tout remettre en ordre. Pendant que Christian vérifie le pliage des couvertures et la bonne tenue de la salle de bain, Phil terminera de laver et ranger la vaisselle, tandis que j’empoigne le balai pour effacer toute trace de notre passage. Nous partons ensuite ensemble pour une journée de marche qui s’annonce des plus agréables, sous un généreux soleil qui commence à sentir bon le sud.
On aura vite fait de quitter le village qui ne s’étire que quelques centaines de mètres le long d’une route plus que paisible. Cette traversée me parut d’autant plus courte que nous conversons sans discontinuer, l’un ne rattrapant pas l’autre dans nos blagues et nos absurdités. Nous formons en effet une belle brochette de joyeux lurons, ne manquant aucune occasion de se charrier mutuellement, jamais méchamment, juste pour le plaisir d’un bon mot qui ferait rire les deux autres.
Mais alors qu’on s’apprêtait à quitter la chaussée pour sillonner à travers prés, voilà que je me rends compte que j’ai oublié au fond du frigo mon saucisson artisanal acheté l’avant-veille dans une charmante petite boucherie. Je me faisais tellement une joie de le déguster que je m’en voulais de l’avoir lâchement abandonné à la merci d’un pèlerin inconnu qui n’aurait sans doute pas pris la peine de le savourer à sa juste valeur. Cela faisait déjà un bon quart d’heure que nous marchions. Obliger mes amis à m’attendre les aurait retardé, mais les quitter alors qu’on venait à peine de se rencontrer me fendait le cœur. J’étais partagé entre l’idée de poursuivre à leur coté, et celle d’aller retrouver mon saucisson qui devait bien se lamenter sur son sort.
Je décide finalement de rebrousser chemin, avec la promesse de les retrouver ce soir au gîte de la Charité-sur-Loire. Ça n’est qu’un au revoir, mes amis, promis !, leur lançais-je avant de leur tourner le dos. Je me ferai pourtant vite une raison de les laisser continuer sans moi. Car au calme retrouvé, je me rends compte que je ne suis peut-être pas encore tout à fait prêt à passer d’une solitude absolue au partage complet d’une journée à trois. Leur compagnie m’est pourtant très agréable, mais parler, rire et s’esclaffer ne me permet pas de me laisser imprégner par les paysages traversés, ne m’autorise pas à me laisser aller à mes réflexions et au respect de mes limites.
Au gîte d’Arbourse, je retrouve non seulement mon saucisson, mais également la responsable, que je croise bien occupée devant sa maison à rempoter ses fleurs de printemps. Nous échangerons quelques mots, durant lesquels je ne manquerai pas de la féliciter et de la remercier pour la qualité de son accueil et l’exemplarité de son refuge pèlerin. Puis je repars par le même chemin déjà parcouru ce matin pour finalement emprunter le sentier où j’avais laissé mes amis. Dans l’herbe fraiche, je devine leurs pas, mais je sais au fond de moi que je n’ai aucun espoir des les rattraper. C’est une journée de solitude qui m’attend, avec l’espoir de les retrouver ce soir.
La magnifique forêt de hêtres dans laquelle je viens de pénétrer est en plein débardage. Le bruit assourdissant des tronçonneuses ne s’éteint que pour faire place à celui d’un arbre abattu qui s’étale lourdement de tout son long. Je dois à mainte reprise quitter une sente que je devine à peine pour contourner les énormes troncs qui entravent ma progression. Pas facile de maintenir le cap dans l’entrelacs des branches qui s’accrochent à moi et des jeunes ronces qui me cinglent les mollets. Le soleil devient mon guide, et lorsque j’arrive enfin sur un semblant de route, je suis soulagé de retrouver le balisage officiel. A partir d’ici pourtant, et pour le reste de la journée, ça ne sera qu’asphalte et chemins goudronnés. Dur dur pour les pieds, d’autant que mes ampoules, aussi discrètes soient-elles, sont encore toutes fraîches. Des kilomètres et des kilomètres à trainer la patte sous un cagnard pas possible, jusqu’à sentir le sol surchauffé à travers la mince carrosserie de mes chaussures. La Loire est un climat à part, il marque la frontière avec le sud. Et l’été a déjà presque un mois d’avance.
A tel point que je ne suis pas fâché lorsqu’un peu plus loin, je retrouve des bois à l’humidité et à la fraicheur salutaire. Le soleil de midi est enfin adouci par l’ombre des feuillus qui bordent la chaussée. Il était temps, car mes bras et ma nuque avaient pris en quelques heures une douloureuse couleur écarlate.
Ces routes forestières sont parfaites, plates et droites, sans la moindre voiture. Découpée selon une triangulation parfaite, chaque parcelle est exploitée dans ses moindres recoins. De magnifiques fûts attendent patiemment d’être embarqués pour la scierie. Il y a même par endroit des centaines de stères alignées au cordeau qui pourrissent le long de la route. Probablement trop frêles ou de piètre qualité pour une exploitation commerciale rentable, ces tas finiront sans doute par retourner en terre. Alors qu’on parle tant de banques alimentaires pour les plus démunis, à quand la création d’une banque de bois de chauffage? Je suis convaincu que certains seraient bien heureux de pouvoir se chauffer en hiver.
Je ne profiterai qu’une paire d’heures de cette fraicheur. Après une petite halte pique-nique à côté d’un lavoir magnifiquement restauré, je retrouve une route inondée de chaleur. Pas la moindre ombre. Les quelques buissons sont bien trop bas, bien trop maigres pour me protéger. Il en sera ainsi jusqu’à la Charité, alors que je traverse les champs en gardant en ligne de mire une autoroute qui va vite me paraître inexpugnable. Mes réserves d’eau s’amenuisent, mes bras commencent à piquer, il est grand temps que j’arrive. J’avance, j’avance, mais cette autoroute me nargue en reculant un peu plus à chaque pas.
Lorsque j’y arrive enfin, je crois mon calvaire terminé. C’était sans compter l’entrée dans la ville qui, dans ces conditions, semble interminable. Deux kilomètres d’une chaleur rendue encore plus étouffante entre ces maisons et ces routes encombrées de circulation. En entrant exténué et en nage dans le bureau de l’Office du Tourisme local, je retrouve mes deux comparses, que je talonnais sans le savoir. Ajouté à l’enthousiasme et au sourire de la charmante employée municipale, toute la fatigue de la journée s’estompe en un instant. Et ça n’est pas le coté spartiate du gîte que nous allions découvrir qui entamera ma joie retrouvée. Même la douche, pourtant surannée, me paraîtra comme un cadeau du ciel !
Une fois installés et rafraîchis, nous partons ensemble à la conquête de la cité et de ses remparts, sans manquer d’aller admirer la Loire. Demain, nous la laisserons derrière nous en empruntant l’imposant pont de pierre qui l’enjambe. Pour l’heure, le soleil n’est plus notre ennemi, mais notre associé qui confère à notre visite une agréable impression de flânerie. Nos pas nous mèneront jusqu’à une petite supérette qui tombe à point nommé pour nos emplettes du soir. On se concerte sur le menu du jour: une petite salade en entrée, suivi de pâtes et d’une andouillette. J’en avais gardé un si bon souvenir à Sézanne, que lorsque Phil en a suggéré l’idée, je l’ai suivi les yeux fermés !
De retour au gîte, il est encore bien trop tôt pour passer à table. Je n’ai aucune idée des intentions de mes amis, mais pour ma part, il me faut absolument trouver de la crème solaire. J’ai aussi secrètement en tête l’envie de m’installer seul à une terrasse bien exposée, de savourer une bière bien fraîche, carnet et crayon en main afin de laisser libre cours à ma plume volubile. Je choisirai donc un bar à l’écart, mais pas trop. L’inspiration vient souvent des gens, et observer en silence la vie qui s’écoule est pour moi un véritable plaisir. Je resterai un long moment à enfiler bière sur bière. Faut-il préciser que la chaleur fut telle aujourd’hui que j’avais grandement besoin de me réhydrater !
A l’heure convenue, je rejoints notre repère. Phil est déjà au fourneau, tandis que Christian se bat avec le bouchon récalcitrant de notre bouteille de vin. Il en sortira vainqueur, et nous lèverons notre verre à cette énième merveilleuse journée qui nous aura encore permis de repousser un peu plus loin nos limites. Malgré un soleil implacable, nous sommes à nouveau réuni, entier et heureux de pouvoir savourer chaque jour le bonheur d’être sur ce Chemin.
La salade composée est d’une fraicheur incomparable. Elle constituera une magnifique entrée en matière, en préambule à de savoureuses andouillettes croustillantes qui me laisseront un goût de trop peu tant je me régale ! Merci Phil, merci Christian: sans vous, je n’aurai peut-être pas tant apprécié la Charité !
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© Luc BALTHASART, 09/05/2016
Encore et toujours très bien
belles photos c’est de très beaux coins
Et les photo ne rendent qu’une infime partie de ce que le regard peut capter, sans parler des bruits et des odeurs, du chant des oiseaux et du parfum des fleurs !
Merci pour vos compliments… 😉