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Levé de bonne heure au gîte de Roquefort. Il est à peine 7 heures que tout le monde s’agite déjà. Cela fait partie des règles, imposées ou non par Frédéric, mais il en est ainsi. Et que nous ne soyons que trois n’y change rien, personne n’y déroge, il y va de son organisation. Après notre départ, il devra encore vérifier que tout soit en ordre, nettoyer la douche et les chambres, faire la vaisselle, ainsi que les courses pour le repas du soir. La vie d’un hospitalier n’est pas de tout repos, loin de là, c’est même une attention de tous les instants. Frédéric met un point d’honneur à effectuer ces tâches dans la bonne humeur. Et quoiqu’il en soit, nous ne sommes de toute façon pas ici pour trainailler.
Chacun débarrasse son lit de ses draps en papier. Vous ai-je déjà parlé de ces fameux draps jetables ? C’est devenu la norme dans ces refuges associatifs. Par facilité et souci d’hygiène, nous sommes tenu de protéger matelas et oreiller par ces espèces de housses molles et difformes, faites d’un voile intissé de papier, qui ressemblent à s’y méprendre à de la fibre de verre, mais heureusement sans le côté gratte-gratte. Les angles sont pseudo-renforcés par des élastiques qui n’en ont que le nom, ça tient rarement en place, et durant la nuit c’est toujours un éternel combat entre elle et moi. Mais bon, c’est pratique, hygiénique et facile : pas de lessive, pas de désinfection. Le matin, on les enlève, on les fout au bac, direction l’incinérateur le plus proche. Peut-être pas super écolo, mais en même temps cela évite de devoir les laver, avec ce que cela implique d’eau et de poudre. C’est de plus un gain de temps énorme pour notre hôte qui n’a plus à s’en préoccuper.
Le déjeuner se passe dans la même ambiance bon enfant qu’hier. Sauf qu’aujourd’hui, grâce à Frédéric, nous n’avons pas nos vieux restes de pains tout mous, mais des baguettes fraîches et croustillantes, du véritable beurre, et un large choix de confitures. De quoi nous préparer à une longue journée, une de plus, puisque c’est officiellement 27,5 kilomètres qui nous attendent. Officiellement…
Jean-Marie ne mange pas avec nous. Il a d’ailleurs une façon un peu particulière de marcher et découper ses étapes, mais finalement, il fait ce qu’il veut ! Jean-Marie ne déjeune jamais. Il part à l’arrache, sur ses réserves de la veille, trace selon sa forme, la météo, le relief et ses envies du moment. Un jour, il va nous faire une étape et demie, et nous pensions alors qu’il était soit relativement pressé, soit soucieux de parcourir un maximum de Chemin sur les 15 jours qu’il pouvait y consacrer. Mais le lendemain, il ne fera qu’une demi-étape, ce qui nous a valu l’honneur de le retrouver hier. Il n’en demeure pas moins sympathique, et sa compagnie est extrêmement agréable, il est juste bizarre. Bizarre, mais attachant !
Je décide encore une fois aujourd’hui de marcher sans Patrick, mais avec la ferme intention de le retrouver afin de pouvoir au moins être présent le jour de son anniversaire. Je m’en étais voulu, il y a quelques jours, alors que je l’avais abandonné à La Réole. Henri, son ami de toujours et compagnon de marche, avait du accélérer la cadence pour respecter son timing. Patrick se retrouvait alors seul et abandonné de tous, et j’étais triste d’imaginer qu’au matin du 6 mai, personne ne serait là pour lui souhaiter un bon anniversaire. J’avais eu la chance de le retrouver le lendemain, ça n’était pas pour à nouveau le lâcher la veille de ce jour !
Puisqu’il me faut absolument me ravitailler, je vais donc profité de cette excuse pour lui laisser prendre un peu d’avance. J’avais la veille repéré un petit boucher à deux pas du gîte, et quoi de mieux que ces petits artisans discrets au fin fond de la France profonde pour y découvrir des spécialités ou du fait maison délicieux. Bonne pioche, et dommage que je ne puisse le dévaliser de toutes ces bonnes choses. Des jambons pendent au plafond, côtoyant les piments d’Espelette séchés et des saucissons. Mais il faut me faire une raison : tout ce que je prends, je dois le porter, sans parler du fait que je n’ai pas de frigo sur mon dos, et que toute denrée fraîche se périme rapidement. J’opte cependant pour un ravier de pommes de terre piémontaises qui a l’air délicieux, une petite saucisse sèche, et puisque cela semble être une de ses spécialités, quelques tranches de jambon fumé.
Marcher sans Patrick, donc, mais sans vraiment le lâcher. Chacun à son rythme, sans se forcer ni ralentir la cadence. Il n’est qu’à quelques centaines de mètres de moi, puisque je l’aperçois régulièrement au détour d’une longue ligne droite. Il me sait derrière, et sans m’attendre, il s’arrête régulièrement. On se retrouve alors au centre d’un village, devant une église ou sur un petit pont, avant qu’il reprenne sa route, et que je le suive à bonne distance. C’est ainsi qu’on va fonctionner toute la journée.
L’étape sera agréable, très plate, avec encore ces longs sentiers sableux typique des Landes, mais aussi beaucoup d’asphalte, sur de magnifiques petites routes de campagne d’un calme olympien. Elles prennent ici le nom des villages et des hameaux qu’elles traversent ou relient entre eux : Sarbazan, Corbleu, Gaillère, Jay, ou Bostens.
Bostens… Lorsque j’arrive en ce lieu, je vois Patrick sortir de l’église. Une toute petite église qui ne paye pas de mine, et qui d’apparence, ne ressemble même pas à une église. Son clocher-tour fortifié et ses bâtiments annexes feraient plus penser à une maison-forte. Prends-je la peine d’y entrer ? La route est longue. Je n’ai pas forcément envie de perdre mon temps, et de toute évidence, rien ne pouvait prévoir ce que j’allais y découvrir, ou plutôt y ressentir. Mais tant qu’à faire, puisque Patrick en sort, je vais y entrer.
On fait tout un mystère de ces églises romanes parfois plantées au milieu de nul part, mais qui sont en fait situées sur des nœuds énergétiques de notre bonne vieille terre. Elles ont parfois pris la place d’un ancien temple gaulois, on retrouve même des fois les restes de rites néolithiques. On y croit ou pas, et pour ma part, j’étais un peu dubitatif.
Lorsque je rentre dans l’antichambre de cette église de Bostens, je suis d’abord saisi par le contraste des températures. Alors que dehors le soleil nous inonde de ses rayons, il règne ici une agréable fraicheur. Non pas cette fraicheur humide qui vous glace le sang, non , mais une agréable fraîcheur qui ouvre vos sens. Et il fallait bien me préparer à ce que j’allais découvrir.
Car une fois dépassée cette pièce, je pénètre dans un lieu surprenant. Derrière les imposantes piles qui supportent la tour et qui occupent une bonne part de l’espace disponible, je me retrouve dans un minuscule lieu de culte à peine éclairé de soleil. Des lumières judicieusement placées s’allument au rythme de ma progression, conférant à l’endroit une impression de magie. Quant à moi, je n’en mène par large. Je suis soudainement submergé par une émotion indescriptible, une sorte de force qui envahit mon corps et s’empare de moi. J’en oublie le poids de mon sac et mes douleurs, j’avance, pas à pas, comme si je bravais un interdit dont on me faisait l’honneur d’être l’élu.
Dans cette petite église de Bostens, il se passe quelque chose. Un je-ne-sais-quoi de divin ou de spirituel, quelque chose d’irréel, que je ne pourrais jamais expliquer. Faut-il seulement y trouver une explication ? Je ne prends même pas la peine de m’asseoir. Je reste planté là, debout, en plein milieu, je laisse les larmes couler le long de mes joues, et je me laisse imprégner de ces ondes invisibles qui me font un bien fou ! Combien de temps ? Il n’a plus aucune importance en cet instant !
Quand je me décide enfin à quitter, une fois ressourcé, je n’avais pas vu que dans le hall se trouvait une porte qui menait à un local destiné aux pèlerins. Délicate attention de la mairie qui a voulu ici perpétuer une tradition qui remonte aux origines du pèlerinage, et peut-être en partie de cette église. Une magnifique petite pièce toute mignonne, super bien aménagée, chaleureuse à souhait, où il fait sans conteste agréable de se poser, pour quelques minutes ou toute une nuit. Cette église regorge décidément de plein de surprises, et j’en ressors bouleversé. C’est ici que je prendrais définitivement conscience de la force du roman sur ma personnalité.
La route est encore longue, et le vent s’est levé. Il ne fait plus si chaud maintenant, et le reste de la journée va se dérouler ainsi entre nuages et éclaircies. Patrick n’est pas si loin, mais je le laisse s’éloigner, avant de repartir à sa poursuite à travers les Landes. Je vais encore voir ces arbres décorés dans les jardins aujourd’hui, et cela faisait quelques jours que je les avais remarqué sans me demander pourquoi. Coutume étrange dont je n’avais jamais eu écho, c’est un monsieur au dos courbé par le poids des années qui m’en parle : c’est la maïade, m’apprend-il, pour les nouveaux voisins, les jeunes mariés, ou les grands anniversaires. Même les élus, on les fête ! Ici, tout se fête, c’est comme ça ! Dans les étoiles qui transparaissent dans son regard, je sens qu’il est fier de sa région, fier de ses traditions.
Midi tapante, je rentre dans le bourg de Bougue. Patrick est de nouveau là à m’attendre, peut-être depuis 10 ou 15 minutes, mais guère plus. Et puisqu’il est l’heure de manger, on ne va pas se faire prier. Juste le temps de poser devant la stèle des pèlerins, puis on s’installe sur le banc de la mairie, d’où je sors la charcuterie achetée ce matin et mon ravier de pommes de terre mayonnaise. Nous estimons avoir super bien marché, puisque les deux tiers doivent être avalés. Presque vingt bornes, en à peine 4 heures, cela tient presque de l’exploit pour moi. Mais pas question de s’arrêter sur ces lauriers : il en reste un tiers, c’est à dire une dizaine de kilomètres ! Alors on mange, on se repose un peu en aérant nos pieds, puis il repart, pendant que je replie mes affaires, avant que je me mette à le suivre, quasiment sur ses talons.
Je le rattrape définitivement à l’entrée de Mont-de-Marsan. Mais lorsqu’on parle d’entrée, c’est parfois encore plusieurs kilomètres qu’il nous faut faire. Il avait ralenti son rythme et il m’attendait car il était hésitant. Il est en fait sacrément ennuyé depuis quelques jours par des chaussures qui l’abandonnent lamentablement. Des toutes nouvelles chaussures, toutes neuves, qu’il avait à peine utilisées avant de se lancer sur le Chemin, juste histoire de les essayer et de les préparer. Des chaussures de bonne facture, qui venaient tout droit de chez Decathlon. Or il se trouve qu’à quelques encablures se trouve un magasin de la marque. Fallait-il y faire un détour de près de 3 kilomètres dans l’espoir de se voir échanger le produit ? Je connaissais leur politique commerciale, et je ne pouvais que l’encourager à tenter le coup !
Nous voilà donc le long d’une énorme nationale extrêmement passante, presqu’une autoroute, où nous marchons sur la bande d’arrêt d’urgence. Impossible de se parler tant la circulation est dense. Trois kilomètres d’enfer, dans le bruit et la pollution, mais que ne ferais-je par amitié et par solidarité ? Et puis cela sera aussi l’occasion pour moi de compléter mon équipement d’une chemise ou d’un t-shirt complémentaire qui viendrait bien à point.
Satisfait, remboursé ou échangé ! Ils ne feront pas mentir l’adage et ne failliront pas à leur réputation. On peut en dire ce qu’on veut, mais c’est franchement facile et agréable avec eux. Patrick est satisfait, il est maintenant équipé de chaussures neuves. Il devra s’en méfier pendant quelques kilomètres, histoire de les mettre à son pied, mais au moins, gageons qu’elles tiennent jusque Compostelle. Et moi, j’ai ma chemise, toute légère et très saillante.
Sur le parking, on se pose clairement la question du bus. J’avais fait le serment de ne jamais tricher, mais en même temps, j’avais fait pour lui un détour de 3 kilomètres, ces trois mêmes kilomètres qui auraient dû nous amener directement au gîte. Devrions-nous reprendre la route à pied, et donc rallonger, ou pourrions-nous en faire l’impasse et prendre le bus en toute bonne âme et conscience ? Il est déjà 16h20, et c’est finalement Patrick qui prendra la décision en se renseignant sur la bonne ligne à prendre. Pour la première, seule et unique fois, me voici donc dans un bus, mais avec le sentiment de ne pas vraiment trahir ma promesse puisque les kilomètres étaient là.
Le bus nous amène en plein centre-ville, à quelques pas du gîte. Celui-ci a été aménagé dans les anciens bains publics, et le bâtiment en a gardé des traces : on entre par une lourde porte de verre et de fer, dans une immense pièce au haut plafond. Il y a plusieurs douches, et une grande chambre avec de nombreux lits. Il n’y a pas à dire, c’est pas ici qu’on va étouffer ! D’autant que nous sommes seuls, ce soir. Pas de Jean-Marie, ni de Hellen ou de Ketty, pas de Anna, pas de Ria, Henri et Dannis sont loin devant, et Olivier est derrière nous.
Seuls ! On hésite à aller se chercher quelque chose à manger, à carrément s’offrir un petit resto, ou simplement se cuisiner quelques spaghetti bolo. C’est cette dernière solution qui remportera les votes au suffrage universel. On se réserve le resto pour demain et son anniversaire !
Petite soirée à ne pas trop savoir que faire. La ville s’endort tôt, et je me sens réellement fatigué après ces quelques très longues journées. Le vin fait effet, nous baillons aux corneilles, et tant qu’à faire, on va aller rejoindre les bras de Morphée.
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© Luc BALTHASART, 06/05/2018
Encore une fois, avec votre récit précis, vous m’avez amené avec vous. J’ai ressenti chaque instant comme si je vous accompagnais.
C’est bien documenté en plus et vos photos donnent un appui incontesté à ce que vous avez vécu.
Je vous dis merci pour cet autre excellent partage. Je me rappellerai de vous lorsque je serai sur le chemin et que je visiterai ces endroits.
Bien à vous.
Merci Roger.
Merci de me confirmer que tu « marches à mes côtés », car c’est avec beaucoup d’humilité que j’essaye d’emmener mes lecteurs avec moi.
Les mots ne remplaceront jamais les émotions, mais ils ont au moins le mérite de verbaliser ce que j’ai ressenti pour vous permettre d’imaginer
A bientôt,
Luc