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Bercé par les flatulences de nos compagnons de chambrée, nous avons finalement passés une très bonne nuit à Zubiri. Le réveil est par contre relativement brutal, il va falloir s’y faire : aux premières lueurs et même parfois bien avant, on commence à entendre les premiers frémissements d’une chambrée qui ne va pas tarder à s’agiter. Les faisceaux de lumière des frontales commencent alors à s’entrecroiser, donnant l’impression des prémices d’un show pyrotechnique. S’en suit rapidement les pas sur un plancher grinçant, accompagné tout aussi vite des zips qu’on agite frénétiquement. Mais le pire, ce sont encore ceux qui s’évertuent à emballer leurs affaires dans des sachets en plastique aussi fins que bruyants.
Face à eux, les paresseux, où plutôt ceux qui ont pris le parti de profiter sans se presser. Ils n’ont comme seule défense que de se retourner en s’enfouissant dans leur sac de couchage non sans vitupérer.
Deux « écoles », à chacun sa façon de marcher, loin de moi l’idée de juger ou critiquer qui que ce soit. Mais il est clair qu’Olivier et moi faisons partie de la seconde moitié ! On observe la chienlit sans piper mot, je dirai même qu’on s’en amuse. Lorsqu’ils seront partis, lorsque le calme sera revenu, lorsque le soleil sera enfin levé, nous penserons à faire de même. Après 62 jours du même rituel, nos sacs seront bouclés en deux temps, trois mouvements.
Direction le bar d’hier pour un copieux déjeuner, un menu du matin qui va vite devenir notre quotidien : un pain au chocolat, un bocadillo de tortilla et bien entendu l’incontournable café qu’on lèche !
Le bocadillo de tortilla ! Une tuerie qui, rien qu’à y penser, doit faire monter mon taux de cholestérol. Imaginez donc un morceau de tortilla bien baveuse, au choix nature, fromage, piment ou chorizo, enfilé dans un morceau de baguette croustillant. Je m’en ferai péter la panse tellement c’est bon ! De quoi en tout cas entamer une journée sur les chapeaux de roue.
Le départ de Zubiri emprunte à nouveau le puente de la Rabia, pour ensuite tourner à droite vers une petite montée, pas très longue mais sacrément pentue. Quelques méandres dans les bois avant de longer une énorme exploitation minière. J’apprendrai par la suite que c’est une extraction de magnésie. Pas très agréable, mais le Chemin n’est pas non plus toujours fait de sentiers bucoliques et de forêts magiques.
Il n’en reste pas moins que mis-à-part ce début de parcours un peu chaotique, le reste se passe de la plus belle manière qui soit en zigzaguant à travers la vallée par des chemins tantôt forestiers, tantôt à travers champs, de temps en temps en empruntant un petit tronçon de route.
Dans la solitude qui me sied, j’avance d’un bon pas en me laissant imprégner de ces différents paysages. Lorsque le Chemin se fait sentier, il est le plus souvent constituer d’un mélange de sable et de graviers clairs bien damés. Lorsqu’il passe par des routes, c’est le plus souvent pour traverser quelques maisons. Parce que l’Espagne profonde est plutôt constituée de petits hameaux que de gros villages.
Je reste quelques temps à admirer une cascade qui dévale des rochers. Je discute un peu avec une famille, papa, maman et deux petits enfants qui passent une semaine ensemble à marcher. Ils sont trop mignons avec leurs petits sacs à dos. Je prends aussi le temps de me pencher vers une fleur de toute beauté, discrète et fragile : une orchidée sauvage ! Je dois être quasiment parmi les derniers à marcher aujourd’hui, avec cette merveilleuse impression que le Chemin m’appartient.
Il ne faudra pourtant pas longtemps pour que je rattrape Danielle la québécoise, seule également et bienheureuse. Elle a finalement osé avouer son ressenti à son amie danoise. Du haut de son mètre quatre-vingt et de ses grandes jambes, celle-ci a donc pris le large, permettant à Danielle et son mètre soixante d’enfin se laisser aller à un peu plus de rêveries. Elle a aussi remarqué l’orchidée, qu’elle n’aurait certainement pas vue si elle avait encore dû cavaler aux côtés de son amie. Je l’écoute avec autant de passion que d’attention à me raconter ses premières journées et ses impressions, j’ai toujours adoré cet accent !
Un peu plus loin, alors que nous quittions une grand-route très passante pour des contrées plus hospitalières, nous croisons une jeune femme enchevêtrée sous sa cape de pluie, qui se contorsionne à qui mieux mieux pour tenter d’attraper quelque chose dans son sac. Cela faisait un bout de temps que je l’observais, alors qu’on s’approchait d’elle. Et depuis ces longues minutes, plutôt que de s’arrêter, elle risquait le tour de rein à tout moment tout en marchant. Mon âme charitable n’en demandait pas plus pour que je lui propose en anglais mon aide.
C’était tout simplement pour choper une banane coincée dans les filets. Et pendant que je lui tends, voilà qu’elle se met à parler, en français, avec Danielle ! Qui plus est avec le même accent. J’avais bien compris : deux compatriotes qui se retrouvent à 8000 km de chez elles, je ne pouvais que les laisser continuer à faire connaissance. J’en profite donc pour retrouver discrètement ma solitude qui ne me quittera plus jusqu’à Pamplona.
Le parcours s’avère finalement peu vallonné, avec ces sentiers qui s’accrochent à flanc de collines. Ça grimpe parfois un peu, le plus souvent en pente douce, pour ensuite gentiment redescendre dans le fond du vallon. La seule vraie montée sera un petit détour pour admirer l’église de San Esteban, dans le village de Zabaldika.
Légèrement décentrée du Chemin, j’ai en fait suivi quelques pèlerins, intrigué du fait qu’ils gravissaient la montagne en direction de cette magnifique église médiévale et de son retable polychrome. Autre curiosité qui ne manque pas de m’étonner, un Christ en croix logé dans un cadre entièrement recouvert de post-it® reprenant autant d’intentions de prière.
De cette église, le Chemin continue comme il avait commencé à travers la vallée de l’Arga. On passe d’une rive à l’autre dans l’indifférence la plus totale sur des sentiers qui se ressemblent tous et qui n’incitent pas forcément à la flânerie ou aux arrêts. En tout cas en ce qui me concerne, car je croise ci et là des pèlerins partis tôt ce matin qui pansent encore leurs plaies ou qui profitent simplement du soleil pour faire une petite sieste ou casser la croûte.
Le trajet me parait pourtant si court et d’une facilité tellement déconcertante que je ne ressens pas le besoin d’une pause : au plus tôt j’arriverai, au plus je pourrais profiter de mon temps pour me reposer et visiter la capitale de la Navarre.
Après avoir traversé le puente de la Magdalena et contourné les remparts de la Citadelle, c’est donc en tout début d’après-midi que je retrouve Olivier pour nous présenter à l’accueil de l’albergue municipale de Pamplona.
Installée dans l’ancienne église désacralisée Jesús y María, je découvre ici l’organisation quasi militaire qui est mise à disposition des pèlerins. C’était déjà le cas à Roncesvalles et à Zubiri, mais c’est particulièrement remarquable ici, à Pamplona. Dés notre entrée, nos noms, prénoms, numéro de carte d’identité, pays et ville d’origine sont scrupuleusement notés dans un registre digne d’un grimoire du Moyen-âge. J’apprendrai plus tard qu’au-delà de l’aspect administratif, cela leur permet d’une part d’alimenter leurs statistiques, mais aussi et surtout de suivre chaque pèlerin tout au long de sa pérégrination afin d’en assurer la sécurité et d’intervenir au plus vite en cas de problème. On nous remet ensuite le traditionnel paquetage avec les draps de lit en papier intissé, en même temps que notre numéro de chambre et celui du lit que nous devront occuper.
Toute la nef de l’ancienne église a été divisée en deux étages, chaque étage compartimenté en box, chaque box comprenant 3 lits superposés. En tout, 114 emplacements. C’est beau, c’est propre, c’est moderne, c’est super bien équipé, avec un bloc sanitaire semblable aux vestiaires d’un club de foot de ligue 1. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est incroyablement bien insonorisé.
Nous occupons le lit de droite du box 59, box dans lequel nous faisons immédiatement la connaissance d’Alain. Pensionné parisien, passionné du Chemin, Alain, au-delà d’être un très agréable personnage, va s’avérer être une véritable encyclopédie du Chemin. C’est bien simple, nous ne tarderons pas, Oli et moi, à le baptiser à son insu WikiAlain. Il en est, en cet été 2015, à son 27ème Chemin, toujours le Francès, toujours jusque Santiago de Compostela, jamais jusque Fistera, parce qu’il n’en éprouve ni le besoin, ni la nécessité. C’est dire si il en connait chaque recoin, les moindres astuces et les bonnes adresses. Il pourrait presque répertorier chaque caillou qu’il a foulé, sans parler du personnel et des responsables des albergues, dont il est devenu au fil des ans un véritable ami.
Il nous parle avec passion de ce Chemin qu’il connait si bien, de ses anecdotes et de ses histoires heureuses ou parfois tragiques. Il nous distille ses bons plans, il nous met parfois en garde. Il nous parle aussi avec une pointe de nostalgie de ce Chemin qu’il a vu se transformer depuis les premiers sentiers muletiers qu’il a arpentés, jusqu’à ce qu’il appelle aujourd’hui l’autoroute à pèlerins que le Chemin est devenu, avec tout ce que cela comporte de mercantile. Mais c’est toujours avec le même besoin viscéral qu’il y revient inexorablement !
Nous entamerons notre tour de la ville par les abords de l’albergue situé en plein centre du cœur historique. Nous n’avons donc pas loin à aller pour découvrir une architecture mainte fois remaniée. Fondée par les romains, successivement occupée par la Wisigoth puis par les Maures, avant de devenir capitale de Navarre grâce aux conquêtes de Charlemagne, Pamplona est un mélange de styles renaissance et gothique qui se mélangent en une harmonie unique. On se perd dans le dédale des rues piétonnes pour notre plus grand plaisir.
En ce jour précédent le week-end, les préparatifs d’une soirée animée se mettent en place. Les bars font le plein de vivres et d’alcools. La foule envahit les commerces et se presse dans les rues pour rentrer au plus vite et se préparer. Dans cette cohue, on sera même pris d’un fou-rire incontrôlable lorsqu’on apercevra une mascotte de taureau aux attributs proéminents occupé à poursuivre les petites filles. Avons-nous raison de trouver ça bizarre ? Cela semble en tout cas beaucoup amuser les passants.
Quoiqu’il en soit, quand vient l’heure du souper, Pamplona se transforme en une véritable cité de joie. La foule de l’après-midi qui avait disparu quelques heures réapparait soudainement, tous plus endimanchés les uns que les autres. Les hommes sont fraîchement rasés, chemises ouvertes et jeans moulants. Les femmes se parent de leurs plus beaux atours, aux robes soignées, aux décolletés plongeants ou aux chemisiers négligemment ouverts. Les maquillages sont parfaits, les cheveux maitrisés. Les eaux de toilettes se mêlent au même rythme que les amis se retrouvent. La nuit leur appartient et ils comptent bien en profiter.
Que faisons-nous là, pèlerins en shorts et en sandales, aux poils hirsutes et aux allures patibulaires ? Hé bien, pour les quelques heures qui nous sont accordées jusqu’au couvre-feu, on profite à se rassasier les papilles, les yeux et le gosier !
On s’installe à un premier bar aux tapas alléchants. L’atmosphère est bruyante, les espagnols ne savent pas parler, ils hurlent avec cette éternelle impression qu’ils se disputent… Mais non, ils discutent !
L’ambiance est tellement festive que la bière coule à la pompe sans discontinuer. J’ai presque l’impression de me retrouver dans le Carré (*) ! On doit même se frayer un passage au milieu des gens pour pouvoir passer de bar en bar et espérer y trouver une place.
C’est finalement dans l’antichambre d’un café bon chic, bon genre, qu’on trouve un mange-debout et deux tabourets. Les gens ici sont encore plus guindés qu’ailleurs, mais il est à noter que notre présence ne dérange guère, bien au contraire. La vue de pèlerins est ici dans les mœurs. On commande deux bières, étonnamment servies directement de fûts en cuivre suspendus au plafond, ainsi qu’un morceau de tortilla. Madre de Dios, nous n’aurons jamais mangé une si bonne part de tortilla : au bas mot 5 centimètres d’épaisseur, chaude et baveuse à souhait, recouverte d’une sauce à l’ail maison à se taper le cul par terre !
Nous n’avons malheureusement qu’une paire d’heures devant nous. Et dans cette ambiance à nulle autre pareille, le temps passe vite. Si vite qu’à un moment donné, Olivier me rappelle à l’ordre : l’heure du couvre-feu va bientôt sonner. Il est grand temps de rentrer si on ne veut pas trouver porte close.
C’est au pas de course qu’on regagne l’albergue, juste à temps pour retrouver Alain déjà couché, et découvrir deux autres compagnons de chambrée.
Nous ne saurons jamais leurs prénoms, ni même la relation qui les unit, mais en tout cas, deux drôles de loustics, qu’on pensait mari et femme mais qui se présentent comme collègues, et qu’on soupçonne plutôt finalement d’être amants. Lui, un peu directif, un brin égoïste et très exigeant. Elle, totalement à sa merci, effacée et très nunuche.
Dans son malheur, elle a glissé hier sur les rochers à l’entrée de Zubiri, ces fameux rochers glissants dont je me méfiais tant. Elle est bien écorchée, tant physiquement que moralement, alors qu’il minimise les faits. Elle souhaiterait rentrer, lui veut continuer. Elle tente désespérément à maîtriser sa connexion internet, lui n’en a rien à faire. Et au moment où elle demande si quelqu’un parmi nous s’y connait, je me penche vers Olivier, informaticien de son état qui me fusille aussitôt du regard. Un dernier fou-rire avant de s’endormir annonce une bonne nuit.
(*) Le Carré, à Liège, est le quartier de Liège où se retrouvent tous les fêtards et guindailleurs de la Cité Ardente. Constitué uniquement de bars, cafés et restaurants, il est animé 365 jours par an et quasi 24h/24. Il est aussi le lieu de rassemblement de tous les évènements estudiantins qui rythment l’année scolaire : Saint-Nicolas, Saint-Toré, les 100 jours, les baptêmes et les bleusailles, etc.
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© Luc BALTHASART, 08/03/2019
Salut cher Luc
J’apprécie tellement lire tes récits, on se rejoint dans plusieurs cas. Comme tu sais je prévoie faire quelques semaines sur le Frances en septembre, alors tu comprends bien que je scrute ton récit à la loupe. 🙂
Comme le bivouac semble compliqué en Espagne donc je n’aurai pas de tente et tout le gréement qui va avec.
Ainsi ton opinion sur les albergues est importante.
À Montréal, nous sommes encore en hiver, malgré que le printemps montre timidement sa présence. nous avons encore un froid mordant. J’ai hâte de pouvoir reprendre l’entrainement sérieusement.
Sur ce mon ami je te laisse avec mon accent québécois.
À une prochaine fois.
Roger
Bonsoir cher Roger 😉
Fidèle au poste, tu me fais toujours l’honneur d’un commentaire, et je t’en remercie infiniment ! 😉
Le bivouac en Espagne n’est pas impossible, même si officiellement il est interdit. Mais bon, en même temps, si on ne faisait que ce qui était autorisé, on se ferait vite ch…
Blague à part, c’est surtout le fait que la multiplicité des albergues et les prix très abordables n’incitent pas forcément à se charger inutilement d’une tente. Mais ça reste aussi un choix…
Ici, en Belgique, après un mois de février anormalement chaud (parfois jusqu’à 18-20°c alors qu’on a d’habitude encore du gel), le temps a très nettement refroidi depuis quelques jours, avec même des averses de grêles et le retour de la neige sur les hauteurs. Mais nous ne sommes pas non plus au Québec, et le printemps ne saurait tarder à pointer le bout de son nez…
A bientôt,
Luc
Hello Luc,
Merci pour cette agréable lecture, elle me permets de glaner des infos et de sourire.
En se qui me concerne, je progresse bien dans les préparatifs, mon dernier achat sera mon velo.
Bonne continuation et @1-2-C-4 ?✌️
Hello Yvan,
Merci surtout à toi de me lire 😉
Cette journée est effectivement plus légère, pour ne pas dire frivole, avec ces italiens qui pètent et la soirée festive de Pamplona en bonne compagnie, ou du moins bien entouré. Parce que le Chemin est un concentré de vie, il a aussi ses moments de détentes… Mais bon, on va vite se reprendre en main, il n’est pas question d’en faire la tournée des Grands Ducs !
Mes préparatifs se mettent également tout doucement en place pour mon prochain départ. J’ai encore le temps, mais j’ai repris sérieusement les entrainements (20 km minimum, par tous les temps et avec 10 kg de sable sur le dos. En parallèle, je révise un peu mon matériel et envisage quelques modifications/améliorations : nouvelle tente ? Peut-être nouveau sac à dos ? Sans parler de l’expérience qui me permet également d’aborder le Chemin de manière plus pratique…
A bientôt,
Luc
Au cas ou, j’ai une tente non employée (2 places, Coleman) montée une fois, style dome.
Double emploi, je partirai avec la vieille ( tente bien entendu ).
40€.
À+ amigo.
Bonjour Yvan,
J’ai déjà une Ferrino Lightent1. C’est un modèle assez plat, compact et relativement léger (1,350Kg). Mais on ne sait pas tenir assis dedans et c’est un peu inconfortable.
De ce que je viens de consulter sans savoir quel modèle tu proposes, les Coleman semblent assez lourdes, non?
Maintenant, il faut aussi faire le ratio prix/poids qui est inversement proportionnel : je ne peux pas me permettre une Vaude ou une Nordisk à 600€/700€!!!
Je continue ma quête, et étonnamment, j’ai peut-être trouvé mon bonheur chez les chinois 😉
Merci quand même pour ta proposition,
Luc