Texte soumis à Quechua dans le cadre du concours « Vos plus belles randonnées ». Les 10 plus beaux récits seront publiés en août 2016 à l’occasion d’une newsletter:
Lorsqu’il y a un peu plus de 20 ans, au détour d’un reportage sur les Chemins de Saint Jacques, je me fis la promesse, que, moi aussi, un jour, je rallierai Santiago, je savais bien peu qu’au départ du 15 mars 2015, j’allais vivre une expérience qui allait bouleverser ma vie.
Après quelques mois de préparations, tant physique que matérielle, alors que je n’avais jamais randonné auparavant, j’ai claqué la porte de ma maison, m’élançant dans un inconnu tout relatif, bien incertain d’arriver au bout de mon rêve.
Les premiers jours furent un mélange d’euphorie et d’angoisses, à la fois heureux d’enfin rendre grâce au Ciel de pouvoir marcher (ndlr: je suis né avec une malformation aux pieds), mais en même temps terriblement angoissé à l’idée de ne pas savoir si le Chemin voudrait bien de moi.
Il me fallut d’abord quitter la Belgique, en cette sortie d’hiver encore glaciale, bivouaquer parfois sous zéro, endurcir mon corps peu habitué à avancer sans relâche. Mais déjà en ces prémisses de voyage au long cours, je me sentais porté par les paysages traversés, les rencontres et le regard des autres.
Au crépuscule de la 9ème journée, alors que je posais mon sac pour la première fois en France, je pris subitement conscience que plus rien dorénavant ne pourrait m’arrêter. J’étais enfin autorisé à continuer contre vents et marées, et le plus beau restait à venir !
A travers bois, champs et landes, traverser la France fut un ravissement. De villages en gros bourgs, en passant par de petits hameaux et des villes mythiques, il ne fut pas un jour sans que rien ne m’émerveille. Du chant des oiseaux, aux contreforts des plus belles cathédrales, de chapelles en églises, d’un département à l’autre, tous mes sens étaient en éveil. Il y eut bien sûr des étapes plus fatigantes. La pluie, le vent, les monts étaient parfois comme autant d’épreuves. Mais j’ai vite appris en m’en détacher pour avancer. Et finalement, c’est avec impatience et confiant en la providence que chaque matin je nouais mes chaussures, certain d’affronter un destin qui était le mien.
Par Reims, Epernay et puis Troyes, j’avais choisi de rejoindre la voie au départ de Vezelay. Quelle ne fut donc pas ma joie lorsque sous un soleil radieux, j’arpentais les derniers mètres de la Colline Eternelle. Demain, je m’engagerais sur la splendide Via Lemovicensis que j’avais parcourue mille fois en rêve au gré de mes lectures. De Bourges à Limoges, puis Perigueux et enfin Saint-Jean-Pied-de-Port, chaque nom résonnait en moi comme autant de lieux familiers. J’étais sur ce Chemin comme chez moi, et rien ne m’aurait fait renoncer !
Au pied des Pyrénées, il ne me restait plus qu’à traverser l’Espagne. Des vastes plaines désertiques de la Meseta, aux verdoyants vallons galiciens, j’ai découvert ce pays de la plus belle des façons. La marche a en effet ceci de particulier qu’on prend le temps. Les paysages défilent alors tellement lentement qu’on s’en imprègne à dose homéopathique. On savoure chaque pas, chaque mètre, chaque arbre, chaque recoin. Au détour de chaque virage, l’horizon se dévoile. C’est une façon douce de découvrir le monde et les autres.
Il m’aura fallu 98 jours d’enchantement pour parcourir les 2412 kilomètres nécessaires à l’accomplissement de mon pèlerinage jusqu’à Santiago, puis Fisterra, la fin des Terres, là où le soleil couchant plonge dans l’océan. Autant de rencontres au quotidien, de paysages et d’espoirs.
A ceux qui rêvent d’aventures, parcourir un des nombreux Chemins de Saint Jacques n’est peut-être pas des plus exotiques. Mais soyez assurés qu’au retour, vous ne serez plus tout à fait pareil ! J’ai vécu plus de 3 mois dans un climat de paix et de partage, sans un vol, sans une agression, sans un mot plus haut que l’autre. Trois mois de convivialité, d’amitié et de fraternité. J’ai appris à prendre le temps, j’ai appris à écouter et à patienter. J’ai aussi appris à relativiser et à me contenter de ce que la vie offre. Partir vers Santiago, bien au delà d’une rando, c’est aussi aller à sa propre rencontre. Ces Chemins multiséculaires sont chargés d’une telle énergie que vous en reviendrez ressourcés. Vous n’aurez dès lors qu’une seule envie, celle d’y retourner !
©Luc Balthasart, 25/01/2016, pour Quechua
En 2014, j’ai pérégriné à partir du Puy. À ma première étape, à Monistrol d’Allier, j’ai rencontré deux filles qui arrivaient de Liège dont l’une trait un chariot, car elle ne pouvait porter un sac à dos. Elles avaient déjà 900 km dans les jambes et marchaient plus vite que moi. On s’est suivi deux ou trois jours et elles ont pris de l’avance.
Moi aussi, j’ai appris la patience et à me contenter de ce que la vie offre.
Un merveilleux souvenir.
Bonjour Daniel, et merci pour votre témoignage.
Effectivement, au départ de Liège pour rejoindre Vezelay ou le Puy (les voies de Tours, et surtout celle de Arles, sont moins fréquentées en provenance directe de Belgique), nous avons déjà quelques kilomètres dans les pattes…
Mais qu’à cela ne tienne, j’avais pour habitude de répondre à ceux qui était admiratif de mon parcours, qu’il n’y avait pas de petits ou de grands Chemins, il n’y avait que des Chemins différents. J’avais juste eu la chance de partir plus tôt, et surtout, de pouvoir y consacrer le temps nécessaire. Mais au départ de chaque matin, j’avais les mêmes douleurs, les mêmes doutes et le même espoir que chaque pèlerin ressent.
Pour ma part, je n’allais pas très vite. Mon ami Patrick m’avait d’ailleurs affublé du qualificatif de « Cheval de trait », pas rapide, mais constant et infatigable.
Quant à ces deux filles, avez-vous gardé contact? 😉 J’ai également croisé des « chariots », parfois « bricolés maison ». C’est amusant de suivre leur traces parmi toutes celles de pas. Et c’est certainement soulageant pour le dos, mais je me suis toujours posé la question, dans les côtes, les sentiers plus étroits, les terrains plus difficiles, plus escarpés, parfois avec des gros cailloux, dans les escaliers… Est-ce au final réellement plus facile?
Quoiqu’il en soit, je conclurais comme voi: quel merveilleux souvenir ! J’ai hâte, dans quelques mois, d’arpenter la Camino del Norte…
Luc