Retrouvez toutes les photos du jour 21
Je ne sais pas s’il s’agit du contrecoup de Troyes, mais ce matin, j’ai vraiment du mal. Réveillé dès l’aube par des lancements lancinants aux chevilles, mes pieds, sur le béton lissé du gîte, refusent obstinément de se plier. En guise de déjeuner, je me prépare un Nescafé® bon marché, dans lequel je tremperai un quignon de pain séché, agrémenté d’une barre de chocolat noir aux noisettes. Je prends un antidouleur comme dessert, je replie péniblement mes effets. Le temps est à la grisaille. Si la motivation est intacte, le moral en prend quand même un coup. Mais il me faut continuer, coûte que coûte, en dépit des douleurs et des difficultés !
Clopinant péniblement, je descends la route qui me ramène au centre du village. J’implore le ciel de m’aider à avancer. Plus que jamais aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir besoin d’aide. Je progresse lentement à travers champs. La terre, collante à souhait, s’accroche à mes godillots rendus pesants. Le ciel plombé m’arrose d’un crachin pénétrant. Ces premiers kilomètres ne font qu’accroître mon désarroi. Est-ce le jour des épreuves? Ai-je à prouver ma volonté? Cela fait quelques jours que je ressens une certaine lassitude. Alors que durant les premières semaines, mon esprit ne me laissait aucun répit, mélangeant souvenirs, regrets et secrets espoirs, je marche maintenant au radar, sans autre pensée que l’arrivée du soir. Dans quelques jours, j’atteindrai Vezelay. Est-ce la proximité de la Colline Eternelle qui me fait sentir étrangement las? Je pense a posteriori que mon accession au statut de pèlerin devait se faire par étapes, un peu comme un rite initiatique. La solitude, l’apprentissage de la marche, les rencontres et les affres de la météo, la grande lessive intérieure. Aujourd’hui, je laisse derrière moi mon enveloppe de randonneur et mes pensées, pour endosser un nouvel habit.
Il m’aura fallu une heure et demie et une longue forêt de réflexions pour me libérer de mes chaines. Les larmes se mêlèrent à la pluie. Le terrain glissant aura tenté maintes fois de me faire choir. Mes pieds se seront rappelés à chacun de mes pas. J’ai juré, j’ai crié. Contre vents et marées, j’ai continué à avancer ! Les douleurs se sont estompées, le ciel s’est éclairci au même rythme que mon esprit. Je suis maintenant prêt à appréhender ce que le Chemin a à m’enseigner.
Au sortir du bois, c’est un autre moi qui perçoit les éléments. Les paysages défilent à grandes enjambées. Je trace ma route la tête haute et le nez au vent. Mon regard porte loin dans ces perspectives sans fin. C’est maintenant une alternance de champs et de bosquets qui jalonne mon périple du jour. Le sol reste certes tantôt boueux, tantôt presque marécageux, mais cette chienlit ne m’atteint plus. Je fais avec, comme je ferai tout au long du Chemin qui me reste. C’est ainsi, on ne peut rien y changer. Il faut accepter ce que la vie nous offre sans rien attendre. Tout ce que nous recevons devient alors cadeau.
Je ne sais pas encore où atterrir aujourd’hui. Je me laisse porter par ce nouvel état qui m’envahit, sans même m’inquiéter d’un endroit où coucher. Je jette un vague regard à mon guide. Le nom de Flogny me plaît, et même si il me semble bien éloigné, je me sens capable de voler jusque là sans coup férir.
Mais en cette avant-veille de jour férié, la mairie est porte close. Perdu au milieu d’une forêt de chênes immenses, je me risque à contacter directement le maire du village. La communication est extrêmement mauvaise, je peine à comprendre ses propos. Même les arbres me renvoient ma voix en écho, brouillant un peu plus mon cerveau. Il me parle d’un terrain de foot, d’un vestiaire. Il me parle aussi d’une clef. Plusieurs fois, nous serons coupés dans notre conversation. J’hésite à le rappeler, j’ai peur de le déranger. Mais Monsieur Bouvet est une crème de patience. Il épelle chaque mot. Il y a bien un vieux matelas, des douches chaudes. Il s’excuse même de ne pouvoir mieux me loger. Je trouverai cette fameuse clef cachée dans un recoin du bâtiment. Je n’aurai qu’à m’installer, il me fait confiance.
Il est 14 heures, il me reste 14 kilomètres, mais j’ai des ailes. Ça n’est pas cet asphalte qui aura raison de moi. J’accélère le pas. Je prendrai même le temps de m’arrêter à la supérette. C’est un long week-end qui se profile: lundi, c’est Pâques, et tout sera fermé !
Les bras chargés de mon butin en sortant du magasin, je n’ai plus qu’à trouver le terrain d’entrainement du club de foot local. La clef est bien là où Monsieur Bouvet me l’avait indiquée. Et le bâtiment est effectivement conçu pour sa fonction, sans fioritures ni luxe ostentatoire. Suis-je plus réceptif et moins exigeant? Il règne en ces murs un sentiment de quiétude qui me rassure. Je ne sais pas d’où me viendra cette impression d’être bien malgré l’authenticité des lieux.
J’ai toutes les banquettes à moi. Je m’étale de tout mon long, profitant d’une longue douche bouillante et de chaque crochet pour suspendre mes vêtements fraichement lavés. Je cherche le matelas que je finirais par trouver dans ce qui semble être un cagibi vaguement technique. Le chauffage turbine et une douce chaleur envahit rapidement la pièce. Mon repas sera composé d’un chips au sel, d’un morceau de saucisson et d’un délicieux pain frais. Je me suis même offert le luxe d’un Coca®. Malgré les apparences, c’est un festin de roi. Lorsqu’on n’a pas le choix, lorsqu’on est dépourvu de tout, la moindre chose prend une toute autre dimension, une autre saveur. Je me régale.
Il est bien trop tôt pour sombrer dans les bras Morphée. En ce début d’avril, les soirées commencent à s’allonger, mais je n’ai rien ici pour me distraire. Seul, perdu sur le bord de ce terrain de foot désert, je me contente d’écouter le vent agiter les nouveaux feuillages et regarder les oiseaux tout heureux de profiter des premiers insectes qui doivent leurs sembler bien savoureux après cet hiver trop long pour eux. Ça n’est que l’humidité du soir qui me sortira de ma torpeur contemplative. Je regagne mon nid douillet surchauffé et m’affale sur le vieux matelas à ressort. A peine le temps d’écrire quelques pensées, je finirai par m’endormir avant même que le soleil se couche. Vivement demain…
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© Luc BALTHASART, 24/03/2016
Le jour de l’épreuve… Ces journées authentiques qu’un rien de confort illumine. Ce dont on fait de moins en moins l’expérience au quotidien :Trop de confort tue son besoin. Beau récit vivement la suite 😉
On apprend vite à se contenter de peu, et c’est effectivement dans l’expérience du dénuement qu’on prend conscience de la valeur des choses.
Tout devient alors, comme tu le dis, confort ! 😉
Un simple saucisson, un morceau de chocolat, une bouteille de Coca, ou simplement le soleil sur la peau, on apprend à profiter pleinement de ces petits plaisirs qui font notre quotidien.